Dans le contexte des débats environnementaux et climatiques des dernières décennies, notamment sur l’Anthropocène, cet axe réunit les collègues et doctorant·e·s autour des enjeux épistémologiques, politiques et sociaux des humanités environnementales - nouveau paradigme qui vise à repenser les relations entre humains et non-humains au-delà de la simple opposition nature/culture.
Différents champs de recherche et approches théoriques seront mobilisés pour analyser les aspects culturels, littéraires, scientifiques, techniques, religieux, politiques des discours et pratiques de la nature : écocritique, géocritique, géopoétique, écoféminisme, études animales littéraires et culturelles, zoopoétique, humanités végétales (plant humanities), littérature et éthique, littérature et sciences, études visuelles, études postcoloniales ; histoire globale ; posthumanismes.
Cet axe s’appuie sur les travaux déjà menés dans le cadre de l’axe transversal du contrat quinquennal 2013-2017 « Conscience environnementale et alternatives écologiques dans les mondes germaniques et nordiques du XVIIIe siècle à nos jours » (resp. A. Choné, M. Cluet) et de l’axe 4 du contrat 2018-2022 « Configurations et reconfigurations du partage entre nature et culture depuis le XVIIIe siècle » (resp. A. Choné, C. Repussard). Plusieurs programmes de recherche ont été menés au cours des dernières années, dans le domaine des études animales (programme MISHA 2017-2018 « La rencontre homme-animal au croisement de la religion, de la culture et de la science. Généalogie et perspectives. », resp. A. Choné, C. Repussard), des humanités environnementales (Programme Formation-Recherche 2016-2018 du Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Allemagne « Circulations et renouvellement des savoirs sur la nature et l’environnement en France et en Allemagne : questionner les Humanités environnementales », co-resp. A. Choné), du trans- et posthumanisme (PFR Ciera 2019-2021 « Dépasser les bornes ? Quelle « politique » pour la littérature de science-fiction en France et en Allemagne ? », resp. Catherine Repussard) et des relations entre nature et psyché (programme EUROCAMPUS 2018-2019, fonds seed money « Konjunkturen des Unbewussten/ Conjonctures de l'inconscient », co-resp. Christine Maillard).
Deux programmes sont en cours sur les thématiques du paysage (programme MISHA 2021-2023 « Pensée du paysage et pratiques artistiques de l’espace à l’heure de l’anthropocène », co-porteur Emmanuel Béhague) et des liens entre nature et religion (programme ANR-DFG 2022-2024 « Esthétique du protestantisme en Scandinavie du 19e au 21e siècle », co-porteur Thomas Mohnike). Un dossier de programme trilatéral Allemagne-France-Italie de la Villa Vigoni a été déposé par Aurélie Choné pour 2023-2025 : « Faszination und Trauer. Kulturvergleichende Blicke auf Ästhetiken von Biodiversität, Artensterben und künstlerischer Restitution ».
Les problématiques actuelles (XXe-XXIe siècles) seront abordées sous l’angle diachronique, à travers des approches régionale(s), nationale(s) et comparatives (franco-allemand) ainsi qu’une synergie transnationale, et éclairées notamment à partir du tournant du XXe siècle (Lebensreform en particulier) et du tournant du XIXe siècle (période romantique). Quatre thématiques principales sont retenues, qui présentent de nombreux points de convergence :
Rhétoriques, représentations et pratiques de la nature du XVIIIe siècle à l’ère de l'anthropocène
Cette thématique se focalise sur l’étude des représentations de la nature (proche ou lointaine), notamment des paysages (des ruines contemporaines à l’univers arctique). Le rôle joué par les peuples autochtones (sames par exemple) et par les non-humains dans ces représentations sera exploré, notamment à travers la dimension symbolique de certains animaux, parfois très liée au réchauffement climatique (ours polaires, rennes). La question de l’agentivité du végétal, du minéral, des animaux et des objets dans la littérature et la pensée de langue allemande sera au centre des travaux. La place de la nature au théâtre, ses liens avec le nature writing, son évocation scénographique mais aussi dramaturgique (dans un théâtre officiel/institutionnel, mais aussi dans le Freies Theater) seront étudiés. Les discours seront analysés en lien avec des pratiques, culturelles, artistiques (théâtre de verdure par exemple) ou politiques (communautés alternatives liées à la Lebensreform, alternatives écologiques, agricultures alternatives...). Les problématiques actuelles seront éclairées à la lumière de la période autour de 1900, qui est elle-même l’héritière de visions, représentations, imaginaires, mais aussi projets utopiques ancrées pour la plupart dans des approches intimement liées au romantisme, lesquelles cherchent à faire émerger un « homme nouveau », vivant en harmonie avec son milieu naturel (plantes, animaux...) et avec ses congénères (mouvements pacifistes et anarchistes...).
Maltraitances animales et végétales : quelles résiliences possibles ?
La seconde thématique est consacrée à la question de la domination et de la maltraitance de la nature (maltraitance envers les paysages, les animaux, les forêts, les territoires...) et aux réponses qui lui sont apportées. On abordera la question de la maltraitance autant du point de vue de l’histoire culturelle (élevage intensif et protection animale, destruction des forêts...) que des études littéraires et de l’écriture poétique. On étudiera ces questions en lien à une critique sociale et politique plus globale, notamment de la société capitaliste et patriarcale (on pense par exemple à l’importance des rapports entre hommes et femmes chez des auteurs comme Mikael Vogel ou Marlen Haushofer). Les questions liées à l’éthique (land ethic, éthique animale, éthique environnementale...) et au genre (écoféminisme) dans les arts et la littérature seront au cœur de cette thématique. Seront notamment abordés le rôle éthique, psychologique et politique de la littérature en terme de résilience face à la crise environnementale, ainsi que ses ambivalences, en termes d’instrumentalisation politique par exemple.
Discours religieux et politiques entre sciences, arts et littératures
La troisième thématique porte sur l’intrication de différents types de discours sur la nature, qu’il s’agisse de discours scientifiques (biologie, écologie, éthologie...), philosophiques (Naturphilosophie romantique, hermétisme, vitalisme, cosmisme, holisme...) et religieux/spirituels/ésotériques (christianisme, nouveaux mouvements religieux, religions de la nature, Naturmystik, alchimie...). A l’ère de l’anthropocène, la peur de l’effondrement à l’échelle planétaire s’exprime dans des discours alarmistes dont la rhétorique est intéressante à analyser (figures de style, métaphores, oxymores...). La dimension eschatologique de ce catastrophisme apocalyptique témoigne de l’imbrication des discours sur la nature, la science et la religion. Des conceptions alternatives au « naturalisme occidental » (Descola) comme l’animisme (chez les sames par exemple), leur mise en pratique, ainsi que leur éventuelle instrumentalisation politique (à des fins identitaires, par exemple en Scandinavie) seront analysées. On s’intéressera à l’articulation entre le religieux (ou le spirituel), la morale et la politique, dans les discours sur la nature (écosophie, écopsychologie, écospiritualité...), les discours écologiques (discours des Verts sur le progrès, écologie profonde, écologie radicale, mysticisme et sacralisation de la nature en Scandinavie...) et dans certains mouvements sociétaux (anti-automobilisme...).
Les ambivalences de la préservation de l’environnement et du rapport à la technique
La quatrième thématique aborde la protection de l’environnement, notamment la question du choix entre la sanctuarisation de certains espaces et la construction d’un « monde commun » entre humains et non-humains (Latour). La protection des paysages peut passer par la sacralisation de la nature, par exemple la création de parcs naturels et concomitamment la muséification ou sanctuarisation des centres-villes – des projets qui soulèvent un certain nombre de résistances (on peut penser par exemple aux résistances à l’installation de parcs d’éoliennes ou de parcs nationaux en Allemagne). Seront étudiés à la fois des textes cherchant à mettre en garde face à l’évolution et au progrès, et des textes témoignant de la volonté de maîtrise et de domination de la nature à travers le développement des sciences et des technologies. Ces deux tendances concomitantes – rejet du développement technologique cherchant une ‘reconnexion’ à l’environnement, et fascination pour le développement scientifique (homme augmenté, cyborgisation, évolution au sein d’univers parallèles, multivers...) – sont déjà esquissées à l’époque romantique, puis autour de 1900, et débattues aujourd’hui en lien avec la questio du transhumanisme et du posthumanisme (corps prothétique, amélioré ou augmenté). Elles seront analysées en lien à la question de l’émergence possible d’un Homme nouveau aux contours repensés (proximité, voire fusion avec la machine, avec l’animal, les plantes...) et au dépassement de l’opposition entre nature et culture.