Johann Peter Hebel en visite à Strasbourg, ou : L’almanach populaire et le télégraphe optique

Exposé de Dr. Bernhard Stricker (Dresde) dans le cadre du colloque de l’unité de recherche « Mondes germaniques et nord-européens », Université de Strasbourg

6 février 2026
17h 18h30
salle 42.02 Patio - Faculté des langues

Johann Peter Hebel (1760-1824), peu connu en France, est fameux en Allemagne pour les contes qu’il a écrit pour l’almanach protestant de Bade, le « Rheinländischer Hausfreund », entre 1803 et 1819. Considéré par Walter Benjamin comme le modèle du « narrateur » et apprécié par d’innombrables écrivains modernes – de Kafka et Canetti à W.G. Sebald, Patrick Roth et Durs Grünbein –, ses récits comme « Retrouvailles Inespérées » ou « Kannitverstan » ont été également aimés par des générations d’élèves et continuent à être lues à l’école jusqu‘à nos jours. Sa grande popularité lui a parfois valu la réputation d’un écrivain anodin et naïf, centré sur le gens du peuple de son pays natal. D’autres, comme Benjamin, ont souligné au contraire le caractère fortement ambigu et l’esprit cosmopolite de ses récits. Les travaux de recherche plus récents sur Hebel ont mis en relief surtout les stratégies textuelles par lesquelles il reflète et transforme l’almanach populaire (« Volkskalender »), historiquement l’une des premières publications imprimées à grand tirage et destinées à des gens peu habitués à la lecture.

Ma présentation prendra son départ du constat que l’almanach, du temps de Hebel, est en déclin en ce qui concerne son rôle de moyen d’information. Dans un paysage médiatique caractérisé par une accélération inouïe – à observer, par exemple, dans la rapidité croissante de la publication des journaux –, l’almanach populaire, qui ne paraît qu’une fois par an, est trop lent pour suivre le rythme des événements historiques. Pour un emblème des processus d’accélération technologique de cette époque, je me servirai du télégraphe optique, c’est-à-dire de l’invention de Claude Chappe assez peu connue aujourd’hui, mais qui occupe une place centrale dans l’histoire notamment de la Révolution Française. Dans la première partie de ma présentation, je montrerai que Hebel était bien au courant de cette invention, d’une part grâce à sa position de professeur au lycée de Karlsruhe, et d’autre part à cause de ses visites répétées à Strasbourg entre 1805 et 1807, où un télégraphe optique était stationné sur le toit du Munster. Ensuite, dans la seconde partie de mon exposé, j’examinerai comment la nouvelle technologie du télégraphe est implicitement reflétée dans les contes de Hebel. Avec « Kannitverstan », je m’appuierai sur l’un des contes les plus fameux pour en donner une lecture nouvelle qui fait valoir comment Hebel, en modifiant sa source française, une anecdote de Charles de Peyssonnel, met l’almanach en relation avec les changements étonnants dans son environnement médiatique et social.