AAC : La perte du Nord. Trajectoires de l’histoire européenne de l’imaginaire du Nord
Organisé par Raphaël Jamet & Thomas Mohnike
Strasbourg, 20 & 21 mai 2026 (BNU)
[English below]
A l’occasion de la préparation d’une exposition à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg en 2027 consacrée à la création du Nord comme espace de désir et d’effroi dans l’histoire européenne et sa disparation à craindre, ce colloque se propose de travailler sur les grands axes de cette histoire, ses complications et sur les petits objets qui la traversent.
En effet, que nous arrivera-t-il si le Nord disparaît ? Si tout ce que nous associons au Nord n’existe plus ? La glace, la neige, le froid, la nature animée aux confins du blanc, sans arbres et vivante, réduite à l’essentiel, résiliente, et les hommes qui se sont adaptés à ces lieux ? Ces lieux sur lesquels nous avons projeté nos peurs et nos rêves pendant des siècles, ces régions que nous avons imaginées hostiles à la vie, où l’homme peut découvrir ses limites et devenir un héros ; ces paysages qui semblaient intacts, utopiques et préservés ? Cette perte touche bien sûr en premier lieu les personnes qui vivent au nord du cercle polaire, mais ne nous concerne-t-elle pas aussi ? Nous, Européens vivant au sud de ce cercle, qui n’avons pour la plupart aucune expérience directe de ces lieux, nous qui recherchons les effrois de la glace et des ténèbres, pour citer le titre du roman de Christoph Ransmayr (Die Schrecken des Eises und der Finsternis, 1984), assis confortablement dans nos fauteuils ?
Il n’est pas question de nier pour autant l’urgence écologique, politique et sociale impliquée par les changements climatiques et l’exploitation des territoires et des hommes, mais bien de s’interroger sur ces imaginaires et projections souvent nostalgiques. Pour reprendre les idées de Svetlana Boym sur l’avenir de la nostalgie, il s’agira de ne pas repenser le Nord dans une volonté restaurative, mais plutôt dans un élan réflexif (The Future of Nostalgia, 2001). Se poser ces questions est aussi une manière d’interroger nos imaginaires collectifs, leurs histoires et leurs conséquences présentes et futures dans et hors de ces espaces et cultures.
L’exposition comme le colloque sont articulés autour de 5 axes qui articulent les tensions dialectiques qui traversent l’histoire du Nord :
Perdre / imaginer : Lorsqu’on imagine quelque chose ou un quelque part nommé nord, les affects, images, désirs et peurs que nous y attachons semblent récurrentes, évolutives et en tout point collectives. Comment envisage-t-on alors la perte du référent essentiel (bien qu’inconnu et hors de toute expérience connue pour certains) de cet imaginaire, comment même le raconte-t-on ? Entre perdre et imaginer, nous proposons d’explorer cette œuvre collective, parfois conflictuelle qui porte peut être en elle-même sa propre perte. Comment penser l’imaginaire de la perte elle-même ? Peut-on concilier cette perte du nord comme réelle autant qu’imaginaire ?
Libérer / Dominer : Cette oscillation, dans le passé et dans l’écriture de ce passé se définit et structure autour d’une représentation d’espaces et de peuples qu’il faut libérer ou dominer, qui sont libres et dominants, qui se libèrent ou qui dominent. Ce Nord identifié comme celui de l’autre – géographique ou temporel – voire d’un âge d’or mythique est celui du double visage des sociétés vikings tantôt barbares, tantôt guerrières, parfois marchands pacifiques et mêmes démocrates avant l’heure, tour à tour colons et colonisés. Cette dualité est reprise à la fois par les historiographies et idéologies d’extrême droite avec cette nostalgie déjà d’une époque et son espace révolu que par les explorateurs du Nord comme Fridtjof Nansen, Roald Amundsen et les amiraux britanniques à la recherche du passage Nord-Ouest. Que devient ce canevas sur lequel les fantasmes de domination comme de libération se sont projetés, de l’ère médiévale à l’ère moderne en passant par les réinterprétations médiévalistes du 19e siècle, lorsque son référentiel, aussi construit soit-il disparaît ? Comment nous construire et nous raconter sans cet autre ? Quelle fonction la nostalgie de cette double figure a-t-elle joué et joue-t-elle encore ?
Explorer / Cartographier : Est-ce qu’on peut figer l’inconnu ? Si les récits collectifs, les instrumentalisations politiques et les écritures et réécritures de l’histoire puisent partiellement leurs sources dans un Nord jamais visité, jamais rencontré et toujours raconté, des véritables explorations sont pourtant menées au moins depuis l’époque médiévale pour découvrir des terres, des ressources naturelles comme des baleines et des phoques ; et le public admirait les explorateurs à travers des beaux ouvrages, cartes et curiosités qui en ont découlé. Ce nord des voyageurs est cette collection de cartes, d’objets, de traces et de récits qui ont nourri notre imaginaire moderne, y compris celui des sciences. Qui récolte ? Pour qui ? Où expose-t-on et fige-t-on ce Nord ? Quelles sont les zones d’ombre d’alors et comment s’intègre la notion de perte ou de nostalgie dans un relevé qui se veut aussi minutieux que possible ? A-t-on déjà peur de sa disparition ou de s’y perdre ? Ce Nord scientifique, fantasmé, politique et ses récits exogènes a pourtant maintenant déjà disparu, par le temps et le climat. Comment cet imaginaire scientifique collectif se déploie-t-il et quelle fonction a-t-il rempli, jusqu’à nous ?
Raconter / Oublier: L’une des grandes incarnations de cet imaginaire collectif à la dialectique puissante est dans les livres, les films, les jeux. L’histoire européenne de ce Nord est tout autant imaginée, écrite et réécrite dans la fiction. Le Nord est, a-t-on compris, tour à tour un décor, un acteur, un motif et un trope littéraire. Où trouve-t-on l’articulation avec la perte du Nord ? Quel est le rôle structurant narrativement de ce mythème de la perte, du vide et de l’oubli dans son association avec le Nord ? Raconte-t-on par peur de l’oublier ? Qu’en retient-on ? A force de répéter, d’en explorer les variations, prend-t-on le risque d’oublier quelque chose de ce Nord qui nous échappe ?
Exploiter / Résister / Connecter : Le Nord, les nords, les régions, les espaces nordiques sont des lieux d’habitation, de mémoire, de culture, de travail, de création, de luttes comme autant de territoires que l’on exploite jusqu’à sa perte et où l’on résiste à cette disparition. La réappropriation des imaginaires pour le tourisme comme pour la mémoire questionne par exemple le jeu entre la re-territorialisation et la nostalgie restaurative. Les mines de fer de Kiruna ont été l’occasion de la création des parcs nationaux pour conserver un élément du Nord en train d’être détruit ; les parcs nationaux à leur tour des obstacles pour la transhumances des rennes ; l’industrialisation de l’élevage des rennes une raison pour la perte d’emploi des samis ; le tourisme profitant de la richesse de ces territoires pour visiter les mines, les rennes, les montagnes, les lacs et les moustiques. Dans ce monde connecté et mondialisé, quels changements observe-t-on alors que les nords communiquent et partagent activement leurs actions comme leurs imaginaires ?
Proposition de 400 mots maximum (incluant une courte notice biographique) à envoyer à tmohnike [a] unistra.fr et rjamet [a] unistra.fr jusqu’au 31 janvier 2026. Les communications pourront être en français ou en anglais.
The Loss of the North. Trajectories of European History of the Imagined North
Organized by Raphaël Jamet & Thomas Mohnike
Strasbourg, May 20 & 21, 2026
In preparation for an exhibition at the Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg in 2027 devoted to the creation of the North as a place of desire and fear in European history and its impending disappearance, this symposium aims to explore the main themes of this history, its complications, and the small objects that inhabit it.
What will happen to us if the North disappears? If everything we associate with the North ceases to exist? The ice, the snow, the cold, the animated nature at the edge of whiteness, treeless and alive, reduced to the essentials, resilient, and the people who have adapted to these places? These places onto which we have projected our fears and dreams for centuries, these regions that we have imagined to be hostile to life, where man can discover his limits and become a hero; these landscapes that seemed untouched, utopian, and preserved? This loss affects, of course, first and foremost the people who live north of the Arctic Circle, but does it not also concern us? We Europeans living south of the Arctic Circle, most of whom have no direct experience of these places, who seek out the terrors of ice and darkness, to quote the title of Christoph Ransmayr’s novel (Die Schrecken des Eises und der Finsternis, 1984), sitting comfortably in our armchairs?
This is not to deny the ecological, political, and social urgency implied by climate change and the exploitation of territories and people, but rather to question these often nostalgic imaginations and projections. To echo Svetlana Boym’s ideas on the future of nostalgia, it is not a question of rethinking the North in a restorative mood, but rather in a reflectional one (The Future of Nostalgia, 2001). Asking these questions is also a way of questioning our collective imaginations, their histories and their present and future consequences within and outside these spaces and cultures.
Both the exhibition and the symposium are structured around five themes that articulate the dialectical tensions that run through the history of the North:
Losing / imagining: When we imagine something or some place we call the North, the emotions, images, desires, and fears we attach to it seem recurrent, evolving, and entirely collective. How, then, do we envisage the loss of the essential referent (albeit unknown and beyond the experience of some) of this imaginary, and how do we even describe it? Between losing and imagining, we propose to explore this collective, sometimes conflictual work, which may in itself carry its own loss. How can we conceive of the imaginary of loss itself? Can we reconcile this loss of the North as both real and imagined?
Liberate/Dominate: This oscillation, in the past and in the writing of this past, is defined and structured around representations of places and peoples that must be liberated or dominated, that are free and dominant, that liberate themselves or dominate. This North, identified as that of the other—geographical or temporal—or even of a mythical golden age, is that of the dual face of Viking societies, sometimes barbaric, sometimes warlike, sometimes peaceful merchants and even democrats before their time, sometimes colonizers, sometimes colonized. This duality is echoed both in far-right historiographies and ideologies, with their nostalgia for a bygone era and space, and by explorers of the North such as Fridtjof Nansen, Roald Amundsen, and the British admirals in search of the Northwest Passage. What becomes of t
